Nati ou la Terrifiante Solitude du Désert

« Yoo Nat,  qu’est-ce que tu fous en fait à Londres ? » 

« … »

Je vais te confier un secret. J’ai peur. J’ai tout le temps peur.

Il y a un an j’ai quitté Genève, avec seulement un Bachelor en poche (en fait pas vraiment vu que j'ai envoyé le travail final depuis une bibliothèque aux States en octobre !), et la seule certitude que je ne voulais pas d’une vie que je n’avais pas choisie. Que j’allais tester les limites de la réalité avec laquelle j’ai grandi et décider qu’il n’y en aurait aucune.

L’année qui a précédé mon départ je vivais encore pépère chez mes parents, j’allais boire des verres avec les copines et je dessinais sur des grandes feuilles de papier tous mes rêves les plus fous, ceux que je voulais accomplir une fois partie. J’étais entourée comme jamais, et je voyais mes ambitions secrètes comme un voyage lointain, encore trop incertain pour m’en inquiéter. Ma vie flottait comme au-dessus d’un grand filet de secours et tomber semblait presque trop facile.

Et puis tout est devenu réel, très vite, trop vite. Je me suis propulsée dans le vide, j’ai quitté la zone du filet pour commencer seule cette aventure. J’avais lu plein de bouquins dessus, ils parlaient tous de la peur, et puis de cette solitude que rien ne peut égaler. Je connaissais la théorie par cœur, mais j’avais sous estimé le choc de la pratique.

@ Nouveaux Quartiers de Copenhague

Tu te souviens de ce truc un peu nul qu’on attendait avec impatience à la rentrée scolaire ? Cette petite feuille de papier qui affichait les horaires du semestre ? Y’avait comme un réconfort à arranger sa vie autour de ces jolies cases, surtout après les deux mois de flottement des vacances d’été. On avait une idée de comment se passeraient les six prochains mois, et y’avait pas besoin disserter le pourquoi du comment on se lève le matin. C’est malin, ça t’empêchait presque de penser pour toi-même et il n’y avait pas de place pour la peur de l’inconnu, la même qui te tient éveillé la nuit à te demander ce que tu vas bien faire de ta vie, ou si ce que t’es en train de faire en vaut vraiment la peine.

La peur m’a toujours fascinée. Probablement parce que je suis une vraie poule mouillée et que j’ai peur de tout. J’ai peur de l’avion, j’ai peur de la voiture, j’ai peur de sortir de chez moi. J’ai peur des autres, j’ai peur des inconnus, j’ai peur de moi. J’ai peur de la mort, de l’amour. Ca m’a longtemps empêché d’avancer mais j’ai vite compris qu’en évitant les risques, j’évitais surtout la vie.

A l’uni j’ai fait un travail sur le bouquin de Geoffrey Moorhouse, un Anglais un peu taré (pléonasme, anyone ? :p) qui s’était mis en tête de faire un truc encore jamais vu : traverser le désert du Sahara à pied, d’Ouest vers l’Est. Seul. Tout ça pour combattre la peur. Cette putain de peur qui flotte comme une ombre discrète et qui n’est pas prête de te lâcher. La même qui lentement se transforme en regrets amers. Toutes ces fois où t’as pas osé, où t’as reculé derrière elle même si tu savais qu’elle n’est qu’illusion et qu’à chaque fois que tu la surpasses, tu grandis toujours un peu plus.


« Fear appears in a great many other forms, almost every day of our lives. We hesitate to speak to strangers for fear of a rebuff, a small humiliation. We are loath to act generously because we fear that more may be taken from us than we really wish to give. We will not stand up and be counted in some small but important matter because it may cost us a security or, more frequently perhaps, an advanvement. Gradually we become stultified, incapable of giving to each other, waiting instead for the next hostile move from another fearful man, which must be countered with all the craft at our disposal, for the sake of self-preservation. » Passage sur la peur dans "The fearful void", de Geoffrey Moorhouse.

 

Alors Moorhouse est parti affronter sa peur. Seul dans le désert infini, il a vite compris que le chemin vers l’affrontement de ses peurs les plus profondes est avant tout une plongée vers la solitude la plus terrifiante qu’il n’ait jamais connu.

La distance géographique de là où t’as grandi, de là où t’as pris racine depuis que t’es gosse ça fout déjà assez les boules. Mais la distance « mentale » que tu prends lorsque tu t’aventures seul(e) dans le désert d’un chemin infranchi, ça personne ne t’y prépare. T’as beau avoir des proches qui te soutiennent de tout cœur, quand tu décides de prendre une voie différente de tous ceux qui t’entourent sans trop savoir où tu vas atterrir, t’es pas préparé à ce degré de solitude. Et c’est terrifiant. T’as volontairement sauté dans le vide et tu t’étonnes que les autres aient de la peine à te comprendre.

@Oslo, Norvège

Tu connais Lisa Nichols ? C’est une de ces coachs américaines qui motive des milliers de personnes à prendre des risques et à leur tour sauter dans le vide. J’aime bien son parcours parce qu’il prouve que t’as pas besoin de savoir où tu vas pour y aller (heu ouais attends, j’texplique). Son début c’est une histoire typique des success story à l’américaine,  mère célibataire elle arrivait à peine à nourrir son fils tous les jours et bossait dur comme éducatrice dans un quartier pauvre de Los Angeles (side-note : ma pote Prisca m’a emmenée faire un tour dans ces quartiers et c’est pas de la blague. Elle tenait à me montrer la raw side de LA, loin des paillettes et du glam. C’est la pauvreté violente comme t’as jamais vu).

Ca fait un bout de temps que Lisa sait qu’elle aspire à plus, qu’elle veut faire une différence. Alors sans même avoir de plan précis, elle commence à économiser de l’argent pendant 3 ans, s’inscrit dès qu’elle peut à des séminaires sur l’entrepreneuriat et tous les jours se regarde dans le miroir en se convainquant que c’est une ouf et qu’elle peut faire un truc de malade (toujours sans trop savoir ce que c’est).

Y’a un truc qui me touche particulièrement dans ses speechs c’est quand elle dit : « Are you ready… to say to the people you love  “I love you and I will be back but I have to go ?“ Are you willing to be non reconnaissable to your family ? Are you willing to walk alone for a little while ? »
 

How long will I have to walk alone ?

@Copenhague, Danemark

T’as peut-être l’impression que c’est un peu un coup de bol son histoire, et que c’est pas très malin de quitter les attentes de la société sans trop savoir quel est ton but. On t’as toujours appris qu’il fallait un goal,  un truc que tu te fixerais à atteindre à tout prix et que toutes tes décisions devraient être faites en fonction de ce super-goal-de-la-mort-qui-tue. Je dis pas, j’y crois à l’importance des buts et tout, mais ça dépend parfois de ce que tu comptes accomplir.

Entre en jeu, Scott Adams, le créateur de Dilbert, cette bande dessinée qui fait un carton aux Etats-Unis. Il n’a pas non plus l’histoire du type qui savait exactement ce qu’il voulait et comment y arriver. Il aimait bien la BD, dessiner, critiquer le monde étrange des corporations dans lequelle il était employé, l’humour, et c’est en mélangeant un peu tout ça qu’il a réussi à se faire connaître.

Invité dans les interviews suite à son succès, il partage un des secrets un peu contre-intuitif de sa réussite : l’importance des systèmes avant les goals.

T’as deux types d’approches selon lui, par systèmes ou par goal.

Imagine t’es un gosse à l’école primaire, t’as sept ans, et comme tous les autres t’es amoureux de la belle Jennifer qui a des cheveux longs et un visage d’ange.

Si tu prends l’approche par goal, tu te fixes le but de tout faire pour la conquérir et vaincre son joli cœur. Tu l’accompagnes à l’école, tu lui achètes des fleurs, tu la complimentes, et tu espères que ton petit manège suffira pour la convaincre de te regarder avec des yeux doux. Y’a juste un souci avec cette approche : les 15 autres garçons de la classe ont la même idée en tête et statistiquement t’as peu de chances qu’elle te choisisse, la princesse. T’a beau avoir une détermination d’acier, si elle décide que tu n’es pas de son goût, tu peux dire au revoir aux rêves de mariage avec Jen.

Prends maintenant l’approche par systèmes. T’a conscience des risques considérables en mettant tous tes œufs dans le même panier, alors plutôt que de tout faire pour conquérir Jen, tu tentes peut-être une fois de lui demander d’aller manger une glace avec toi, et si elle refuse, tant pis, elle est peut-être le goal ultime mais tu sais que ça ne sert à rien de forcer. Alors tu commences à construire des systèmes qui te rapprochent de ton but. Jen a dit non, ok, elle est jolie et tu la kiffes vraiment bien, mais y’a plein de jolies filles dans l’école.  Tu commence à parler à d’autres filles, deux, trois, dix. Elles te charrient parce que t’es un peu maladroit, mais peu à peu contrairement aux autres mecs qui ont les yeux rivés sur Jen, tu accèdes aux codes féminins. Tu commences à voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, ce qui les fait rire, ce qui les fait fuir. Tu remarques qu’elles sont toutes différentes, mais y’a des sortes de lois qui semblent marcher et vers la fin de l’année t'as l'impression de les maitriser. Sans même le vouloir tu remarques que ça t’a donné une certaine confiance en toi, c’est marrant, du coup t’ oses plus souvent aller au tableau et ça te fait moins peur de poser des questions en classe. Tu comprends mieux les maths, tes notes s’améliorent, ta maman est contente et propose de t’offrir des leçons de musique pour te récompenser. Tu choisis la guitare (surtout parce que les filles semblent aimer ça!) mais aussi parce que le solo de Jimi Hendrix dans Voodoo Child t’as toujours donné des frissons. Ton prof est cool, c’est un jeune type qui aime séduire et comme il devine en toi les talents d’un séducteur, il te confie plein de techniques à la fin du cours. Marie est l’élève qui vient après les mercredis, elle est souvent énervée parce qu’à cause de tout ça son cours de guitare commence toujours 10 minutes plus tard. Mais elle est plutôt cool Marie, elle a un visage un peu chelou, un tempérament de feu et une crinière de lionne. Elle vient d’une autre école, a deux de plus, mais tu n’as plus peur de grand chose et tu te dis que les filles à sept ou neuf ans ça doit pas être si différent. Alors quand tu lui demandes qu’elle soit ta copine avec une assurance d’enfer, elle rougit pour la première fois et elle te prend la main en souriant.

Le jour de tes huit ans t’as copine géniale, tu sais jouer un solo de guitare, t’as rencontré plein de monde dans l’école, t’as appris à parler aux filles, tu t’es trouvé un mentor, une étrange passion pour les maths, ta maman est ravie et tout ça pendant que les 15 autres mecs ont toujours les yeux rivés sur Jen. Elle a finit par en choisir un, mais lui-même a l’air surpris et il vient des fois te demander conseil.

Tu vois un peu l’idée de l’approche par systèmes ? ;)

Donc voilà pour revenir à Lisa, selon moi pendant ces 3 ans elle n’a pas fait que d’économiser des sous. Elle a pris l’approche par systèmes. Elle a appris à parler en public, à croire en elle, en ses capacités d’entrepreneuse, à développer une relation différente avec l’argent. Elle a tenu bon alors que personne ne croyait en elle. Et au final ça ne lui a pas trop mal réussit!

Mais le vrai avantage des systèmes c'est que même si tu te plantes, tu en sors gagnant. Tu gagnes un savoir, une débrouillardise et une confiance en toi que tu n'aurais pu trouver nulle part ailleurs.

@ Gilleleje, Danemark

So what am I doing in London ?

Je construis des systèmes. Avec mon premier job (je t’en parlerai une fois c’était assez surréaliste !) j’ai appris à ne pas m'inquiéter de ce que les gens pensaient de moi (disons la plupart du temps) et je suis devenue experte en vente.

Maintenant je bosse trois nuits par semaines dans l’auberge où j’habite, ce qui me permet de rencontrer des gens du monde entier, accéder à leur visions du monde et mieux réaliser la myriade de possibilités qu’il existe pour vivre une vie. Dans quel autre job tu peux parler dans la même soirée avec un réalisateur de films d’horreur indépendant, un artiste-peintre-ingénieur à la veille de son départ en Afrique dans le cadre d'un projet qui va faciliter l'accès à l'eau potable, un coureur professionnel venu à Londres pour mesurer sa masse de graisse au millimètre et en faire part à ses milliers de fans sur Facebook qui financent ses exploits dans le monde entier, un étudiant en informatique qui a créé une application utopiste qui pourrait bien révolutionner les pays latino-américains, et un employé overworked de Tesla ? (J’apprends des tucs marrants, comme le fait qu’ils n'ont même pas de cantines à TESLA, alors ils doivent aller quelques blocs plus loin à SpaceX pour manger! Les employés de SpaceX coûtent plus cher, du coup ils sont pas payés en heures sup' et en contrepartie ils ont plein de joujous et des bureaux à la google- en face, ceux de Tesla ont une clim pourrie et à peine une vending machine, mais sont payés pour chaque minute qu'ils dédient à l'entreprise).

J’apprends à être à l’aise en anglais, et j’en profite pour lire tout un tas de bouquins de self-help, psychologie, marketing, philosophie et autre, c'est pratique comme y'en a encore beaucoup qui ne sont pas traduits en français.

Je fais partie d’un club de public speaking et toutes les deux semaines je parle devant une troupe d’ingénieurs anglais en costard dans les bureaux fancy d’une entreprise de construction.

Je fais du coaching Tinder et j’en apprends un tas sur les peurs, la confiance en soi, l’amour. J’apprends à trouver des clients et à vendre mes services à un prix justifié. J’apprends à tout leur donner pour qu’ils trouvent l’amour et je pense avoir trouver des façons de faire qui marchent avec un maximum de monde, tout en m'adaptant à chaque individu.

Je continue à partager parfois mes pensées avec vous ici (ayyy I know, pas assez souvent !) et du coup la quiche que je suis en informatique commence à s’améliorer.

Et comme c’est Londres, y’a tout plein d’évènements tous les jours et en y allant je continue à pratiquer mes social skills en ayant désormais compris que si tu ne connais rien à un domaine c’est pas bien grave tant que t’es curieux.

Et puis surtout je sais maintenant que je peux me trouver seule, sans argent ni contacts dans une ville inconnue et que j’arriverais à m’en sortir. C’est le genre de sentiment qui te convainc que tu peux prendre tous les risques de la terre.

Tu penses bien y’a des fois où je m’arrête, je pose on vélo dans un parc londonien, je regarde le ciel et je me demande bien ce que je fais de ma vie. Mais je repense alors aux systèmes, et à tout ce que j’ai appris en une année (bien plus qu’en quatre ans d’unis aheeeem), et maintenant je sais que même sans filet de secours, avec les systèmes tu peux t’en construire un bien plus solide et intéressant que celui que t’avais avant.

@ Copenhague

A la fin de son récit, Geoffrey Moorhouse abandonne son but. Il a d’abord l’impression d’échouer puis il arrive à se féliciter de tout ce qu’il a accompli seul. Il en arrive surtout à la conclusion qu’il a toujours peur. Il a peur du fait qu’il a encore peur,  peur de rentrer chez lui et de l’accueil de sa famille. La peur c’est pas un truc dont tu te débarrasses en partant seul à l’aventure (crois-moi, j’ai essayé !). La peur sera toujours présente, et tant mieux, parce qu'arriver constamment à la surpasser c’est ça le vrai courage.
Ca me fait penser à la bande dessinée d' Astérix et Obélix avec les vikings, quand les vikings qui n'ont jamais peur finissent par rencontrer la peur et Panoramix (je crois) leur dit un truc du même genre : que ce n'est pas courageux de ne jamais avoir peur, mais que ça l'est de la laisser venir et de la regarder en face tout en cherchant en toi les ressources pour la surpasser.

@ Plakias, Crètes, Grèce

A 18 ans j’ai passé une nuit dans le désert en Mauritanie.  J'y étais allée un peu hésitante, je ne comprenais pas cette fascination du désert, pour ces kilomètres de rien et un paysage vide. Le silence insoutenable. Pas d’eau, personne pour t’aider en cas de pépin. En plus de ça je m’approchais de la fin du collège, trop de possibilités s’offraient à moi et j’avais peur d’emprunter un chemin unique sans pouvoir me retourner. Plus que jamais la perspective du désert de terrorisait. Je sentais que pour survivre à un tel environnement, il fallait un courage et une détermination que je n'étais pas certaine de posséder. Je pensais à ma soeur, à mes parents, à mes amis, à mon cocon douillet aux contours si familiers. Et puis lentement le soleil rouge s’est couché derrière les dunes de sable dorées. Et une fois la nuit tombée, c’était magique. La voie lactée s’est dévoilée dans toute sa splendeur, infinie.
J’en oublie alors un court instant toutes ces peurs qui me rongent de l’intérieur, et la solitude terrifiante qui me hante parfois s’efface devant un tel spectacle.
Parce que pour la toute première fois je réalise que c’est dans la nuit noire d’un désert inexploré que brillent vraiment les étoiles.