Nati ou la Vie Adulte

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Nati ou Le Crush

A 5 ans on était toutes amoureuses du même garçon. Celui qui avait un physique de prince charmant, un peu comme ceux des Disney, le côté bad boy en plus. C’était peut-être un effet de mode, ou bien toute cette attention lui avait donné rapidement une assurance qui le rendait tellement attirant. De toute façon à cet âge là, les garçons sont tous les mêmes. Pas question de leur tenir la main! Mais on rêve secrètement que celui-là nous choisisse. Alors on dessine des cœurs avec ses initiales dans le journal intime dissimulé avec précaution au fond du tiroir. Il ne faut surtout pas que quelqu’un se doute que je suis amoureuse! Ce serait la honte. Pourtant penser à lui, ça fait tout drôle. Presque aussi bon que les dessins animés du dimanche matin, ou la barre de chocolat du quatre heures. Oui, je sais toutes les filles sont folles de lui !

Mais un jour il me remarquera. Et comme dans les films d’Hilary Duff et de Lindsay Lohan, ce beau gosse dissimulerait un côté super romantique qu’il finira par révéler juste pour moi. Parce qu’il aura enfin compris que je suis bien plus que cette fille timide qui se cache derrière un awkward silence et des bouquins. Alors il criera haut et fort devant toute l’école qu’il m’aime ! Et ensemble, on vivra heureux jusqu’à la fin des temps.

@Kensington Gardens


Vers 13 ans il ne m’avait toujours pas remarquée. Heureusement j’étais bien plus mature (si, si !). J’avais commencé à comprendre que le physique et le degré de popularité ne font pas tout. Il faut du charme aussi, un air mystérieux. Se concentrer sur celui qui est assez mignon pour réveiller les papillons dans le ventre, mais pas assez pour attirer l’attention de toutes les autres. Celui qui a une vie secrète après l’école, et va fumer des joins seul dans la forêt pour écrire des poèmes sur un autre système solaire. (hum sérieux si vous en connaissez un dans le genre.. introduce me ? :p)


Tous les six mois environ j’en choisissais un nouveau. Un nouveau garçon sur qui fantasmer, celui qui me sauverait de la vie monotone et reconnaitrait enfin mes incroyables qualités que je cachais si bien au grand public. Je nous imaginais fuir ce bâtiment gris et parcourir le monde, amoureux. Je l’imaginais écrire des chansons dédiées rien qu’à moi, parfois dans un remake de Grease : eh oui, je serais enfin assez canon pour mettre un pantalon en cuir et par miracle chanterais comme une déesse - rien n’est impossible dans le monde de l’imaginaire ! Plus tard mon côté un peu dark ajoute même un kidnapping à l’histoire, une vie enfermée dans le désert et une escapade avec un autre prisonnier qui se transforme en folle aventure dans le Moyen Orient. (Je crois qu’une partie de moi pense encore qu’une histoire d’amour doit naitre dans la peur, l’exotisme et l’aventure – est-ce que j’exorcise un peu trop mes démons dans ce blog ? :p)


Couple @Camden Town

Ma vie amoureuse imaginaire a été trépidante. Ma vie amoureuse dans le monde « réel »… pas tout à fait.

J’ai mis du temps à comprendre qu’il ne faut pas attendre que les choses nous tombent dessus, surtout en amour (la faute à Disney et aux teen movies ça, j’vous l’dis ! )
N’empêche ces histoires imaginaires, ces nombreux « crush » ça faisait putain de bien. Je me levais le matin heureuse d’aller à l’école, parce que je pouvais passer des heures à rêvasser en fixant le dos du type en question. Et puis il y a l’espoir, l’espoir que ces romances folles se réalisent vraiment ! Minime, hein, mais quand même là. Le monde de l’imaginaire c’est féérique.

Mais le problème du crush c’est les nombreuses portes qui se ferment avec. Se fixer sur un être comme si c’était le dernier sur terre, ça éteint tout potentiel de remarquer les milliers d’autres qui apparaissent de partout.  J’ai toujours des crushs. Mais jamais un seul à la fois. Des centaines, des milliers, comme des étoiles que j’admire en secret, dont je tombe amoureuse un peu plus tous les jours.

J’ai un crush sur ce trentenaire anglais qui répare les voitures de police. Je ne sais rien de lui, si ce n’est qu’il habite à Kent, loin de Londres et qu’il fait 2 heures de moto tous les matins pour se rendre à son travail au centre de la city. Il est réservé mais sûr de lui, avec un magnifique sourire, des lunettes carrées et des cheveux grisonnants. Un visage de garçon sage, super mignon ! Je l’imagine s’arrêter une fois avec sa moto, m’ordonner de monter à l’arrière et rouler dans le froid anglais jusqu’à son petit village. Sa maison avec un jardin bien entretenu, sa passion pour le jardinage qu’il compare à la mécanique : « I’m telling you Nat, reparing cars is like plants ! You have to take care of them every day ». Dans son jardin il y aurait des roses, des orchidées et des lilas. L’intérieur est aussi chaleureux qu’un repaire de hobbit. Le canapé-lit dans le salon est là pour les invités, mais j’insiste souvent pour qu’on y reste ensemble la nuit, près de la cheminée. Et puis, c’est un amant si tendre et attentionné que l’endroit importe peu ! Les dimanches pluvieux il les passe dans son garage ou avec ses plantes alors que je suis assise par terre près d’une fenêtre à écrire. De temps à autres je lui apporte une tasse de thé, british breakfast tea. Après quelques semaines j’ai même osé exploré le vieux livre de recette qu’il a hérité de sa grand-maman décédée et on dévore en riant les scones à moitiés brûlés que j’ai confectionné plein d’amour.

Café au port de Ramsgate, Angleterre

 

J’ai un crush sur cette magnifique Grecque qui travaille dans les bureaux des Berkley houses Real Estate. Elle porte le même nom que moi et depuis qu’elle le sait, c’est comme si on partageait le secret le précieux du monde. Quand elle s’approche pour me demander de goûter la soupe du jour, elle s’arrête si près de mon visage que nos deux lèvres ne sont séparées que de quelques centimètres. Elle porte toujours le même fard à paupière, un violet qui fait ressortir ses grands yeux verts. Elle parle lentement, avec une voix posée et un léger accent extremly charming. Quand elle traverse les bureaux, ses longs cheveux noirs et sa démarche de chat envoute les hommes comme les femmes. Quelques courts instants, ils en oublient les chiffres, le meeting de 10 heures, le mortgage à payer sur cette maison qu’ils ont acheté avec un partenaire qu’ils ne sont même plus sûr d’aimer. Elle gère la section marketing de ces maisons de luxes dans le central London, mais déteste les heures passées enfermées dans ce bureau vitré. « why don’t you come to work by bike if you live so close ? » « I don’t know, I’m scared of cars ». Elle aime trop la vie pour s’en aller si jeune.
Elle a mentionné un petit ami l’autre jour : elle n’aurait plus le temps de cuisiner pour lui, poor boyfriend ! Il est tellement occupé qu’il en oublie la chance de l’avoir comme compagne. D’ailleurs la semaine prochaine il part en business trip à Singapour ou Hong-Kong. Elle a enfin l’appartement pour elle !
Cette soirée là elle serait fatiguée de rentrer seule dans son petit appartement. « Why don’t you come over to have dinner ? » Je lui répondrais oui-non peut-être, je sais pas, I’m not sureEt puis je me souviendrais de la promesse que je m’étais faite, celle de toujours choisir le chemin qui m’effraie le plus. Alors je me présenterais à sa porte, un peu intimidée, un grand toblerone dans mon petit sac à dos. Elle m’ouvrirait la porte, encore plus belle qu’à l’habitude. Une odeur d’encens s’échappe du deux-pièces : l’odeur de l’indépendance, elle ne l’allume que quand il est parti. Il ne supporte pas ces trucs de hippie, tolère tout juste ses séances de méditation qu’elle pratique trois fois par semaine avant le lever du soleil. J’adore l’encens. Je sais qu’on est faites pour s’entendre. On ouvre une bouteille de vin, et je la fais parler. J’ai envie d’écouter son accent sexy toute la nuit.

J’ai un crush sur Steven, celui qui travaille sur le site de construction. Il a des yeux si bleus que je m’y perds à chaque fois que je le salue. Deux mètres de hauts comme de large, il semble constamment s’excuser de sa stature. Discret mais sûr de lui, je ne le connais que dans son uniforme de travail orange fluo qu’il arbore avec fierté quelque soit le temps qu’il fait. Parfois j’aperçois une étincelle dans son regard, et un petit sourire. Juste assez pour me faire voyager, pour me donner envie d’aller découvrir son univers, partager un peu sa vie. On se verrait par hasard une fois dans un pub au soleil. Ce serait un vendredi soir, de ces soirées où l'on s’autorise à arrêter le temps, à ne se soucier que du présent. On commanderait un fish and chips et deux grandes pintes de IPA. J’ai un peu de mal avec son accent et lui avec le mien, mais on se comprend quand même, juste ce qu’il faut. Alors je partage avec lui ma passion des voyages, et il me confie son projet de retaper un vieux bateau qui l’accompagnera peut-être jusqu’en Afrique, ou en Inde. « Let’s go together then ! » Et sur les serviettes tachées de bière du pub, on griffonne une carte du monde avec l’itinéraire, le chemin vers des mois entiers de bonheur sur la mer. 

Brasserie locale pas loin de San Francisco

 

J’ai un crush sur la jeune secrétaire surmaquillée du garage de réparation de voitures, celle qui semble sortie tout droit d’un club de Harajuku. Des cheveux blonds platines, faux cils qui font ressortir ses yeux verts, elle sait mettre en valeur ses jolies formes. Ca se voit qu’elle aime la vie, elle a ce regard qui pétille, ce charme qui donne envie de la suivre partout, pour goûter un peu de son énergie si particulière. A l’école elle a peut-être souffert de cette attention, et les mauvaises langues l’auraient traité de salope, bimbo et autres insultes colorées. Parce qu’ils n’ont pas compris que si elle les trouble autant ce n’est pas par son apparence de barbie ; c’est cette aura que possèdent ceux qui sont en paix. Ceux qui acceptent les autres comme ils sont, parce qu’ils ont d’abord appris à s’aimer avec toutes leurs imperfections. C’est inconfortable d’avoir la permission d’être qui on veut ! On a tellement l’habitude de se fondre dans la masse, elle se prend pour qui cette meuf ? Ils ont beau l’attaquer avec hostilité, elle reste fidèle à elle-même. Authentique sous son fond de teint et rouge à lèvre, prête à accepter tous les obstacles qui se dressent devant elle en combattant la haine par l’amour.


J’ai un crush sur ce jeune Espagnol de 21 ans apparu sur mon bout de route la semaine passée. Une matinée entière passée avec lui, et je me rends vite compte que tous tombent amoureux les premières secondes passées en sa présence. Homme, femmes, tous âges compris. On dit qu’on tombe sous le charme d’une personne avant tout par ce qu’elle nous fait ressentir. Par l’image qu’elle nous revoie de nous-même. Il semble toujours calme, souriant. Il prend son temps pour parler, parce qu’il sait qu’on va l’écouter. Lorsqu’il s’adresse à toi, il soutient ton regard avec une telle intensité qu’il semble vouloir savoir tout de ta vie, tes pensées. Tu ne sais plus quand c’était la dernière fois qu’on ta écouté comme ça, sans iphone dans la main et oreille distraite. Avec lui tu as enfin l’impression d’être reconnu. Et pas seulement pour qui tu es ; pour ton potentiel aussi, ce géant endormi en toi qui ne demande que la permission de cet inconnu pour se réveiller, pour accomplir des choses si belles qu’enfin la vie ne semblera plus si meaningless ! A seulement 21 ans, il a le monde à ses pieds. Des vies il va en toucher tellement, que je suis prête à tout quitter pour le suivre dans ses aventures.

J’ai un crush sur l’inconnu du métro, les inconnus du métro, ceux que je croise tous les jours sans jamais trouver le courage de leur parler, mais avec qui j’ai déjà imaginé des centaines de romances différentes, des scénarios à n’en plus finir.

Je n’en n’ai pas qu’un seul de crush. J’en ai dix, vingt, des centaines, des milliers.

@Seattle, WA

 

Et pourtant je n’ai pas vraiment envie que ces crush voyagent vers le monde réel. Un peu peut-être. Mais la beauté du crush réside dans l’impossibilité qu’il se réalise. Dans le monde imaginaire du crush, rien n’est interdit. Parfois les histoires les plus belles sont celles qui restent fictionnelles. Les multiples crush d’autant plus : ils offrent une vision du monde abondante, où l’amour n’a pas de limite. Ils encouragent la tolérance, et entrainent l’esprit à voir les infinies possibilités qui nous entourent.
On devrait tous avoir de nombreux crushs ! Crois-moi, ça rend ce monde encore un peu plus magique. Oublie ton prince charmant du Disney, ce type sur lequel tu fantasmes désespérément depuis bien trop longtemps ou cette fille qui ne te regarde même pas. On est plus de 7 milliards d'individus sur cette planète. Go out, look around, and fall in love... de ces milliers d’inconnus que tu croises tous les jours. 

 


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